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samedi, 19 octobre 2013

Après la musique

  

 

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Scène de l'abbaye Saint-Robert de La Chaise-Dieu (XIe-XVe s.),
en Haute-Loire, photographie : août 2013.

 

 

vendredi, 18 octobre 2013

Tête de bois

 

 

 

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 Détail d'une stalle (XVe s.) dans la nef de l'abbaye Saint-Robert de La Chaise-Dieu (XIe-XVe s.),
en Haute-Loire, photographie : août 2013.

 

 

 

Vue de la Stalle 49

 

 

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Après le concert "Amour mystique" (Richard Wagner, Ouverture de Tannhäuser, Wesendonck-Lieder, Siegfried-Idyll, Prélude et Mort d'Isolde, extraits de Tristan et Isolde), par l'Orchestre national de Lorraine dirigé par Jacques Mercier, avec Varduhi Abrahamyan, mezzo-soprano, à l'abbaye Saint-Robert de La Chaise-Dieu, en Haute-Loire, photographie : samedi 24 août 2013.

 

 

 

jeudi, 17 octobre 2013

En attendant la musique

 

 

 

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Le cloître de l'abbaye Saint-Robert de La Chaise-Dieu (XIe-XVe s.), en Haute-Loire, 
photographie : août 2013.

 

 

 

mercredi, 16 octobre 2013

« C'est là que je voudrais vivre »

 

 

 

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Le château de Montfort (XIIe-XVIe s.), dans le Puy-de-Dôme,
photographie : août 2013.

 

 

 

mardi, 15 octobre 2013

Eau froide

  

 

J'écris tous les jours, mais il m'arrive peu souvent de parler — c'est que parler, je veux dire parler vraiment, suppose une écoute, tandis qu'écrire suppose un regard, un regard qui contient cette écoute, et ce parlé. Or ce regard est en moi, quand bien même tous les lecteurs seraient morts, ou renaissants, ou lointains... Parler est échanger, or l'échange n'est pas tant dans le langage que dans un regard sur le langage, et son levé d'archet.

 

 

(Ainsi ces fragments, ici-même, formeraient un miroir.)

 

 

17:24 Écrit par Frédéric Tison dans Minuscules | Tags : frédéric tison, minuscule, langage | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |

Le ciel au-dessus du château

  

 

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Le château de Montfort (XIIe-XVIe s.), dans le Puy-de-Dôme,
photographie : août 2013.

 

 

lundi, 14 octobre 2013

Au haut d'une tour

 

  

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Vue sur l'étang, à Bourbon-l'Archambault, dans l'Allier, photographie : août 2013.

 

  

dimanche, 13 octobre 2013

Les toits et les tours

 

  

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Vestiges du château des ducs de Bourbon (XIIIe-XIVe s.), à Bourbon-l'Archambault, dans l'Allier.
(Sur la deuxième photographie, la Tour Qui qu'en Grogne.)
Photographies : août 2013.

 

 

 

Vu de la route

  

 

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Le château de La Chaussière (XIXe s.), à Vieure, dans l'Allier,
photographie : août 2013.


 

 

samedi, 12 octobre 2013

Autour d'un livre de poèmes

 

 

  

Autour du livre

Les Effigies, variations sur des ombres et des voix

par Frédéric Tison

 

Un livre de photographies, "satellite" du livre de poèmes,
est disponible à l’adresse suivante :

http://www.blurb.fr/b/4459680-les-effigies-un-carnet-de-p...

 

Sans en être l’illustration, il accompagnera volontiers la lecture des poèmes, quand le Lecteur, un instant, lèvera les yeux de son livre.

  

Les Effigies un carnet de photographies - Frédéric Tison - 2013 - b.jpg

 Frédéric Tison, Les Effigies, un carnet de photographies (2009-2013),
auto-édition Blurb, 2013. 160 pages, 76 photographies (couleur et noir & blanc) 

 

 

 

 

Château jaloux

 

  

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Le château de La Salle (XVe-XIXe s. ?), à Vieure, dans l'Allier,
fermé à la visite et visible de loin seulement,
photographie : août 2013.

 

 

 

vendredi, 11 octobre 2013

Reflets

 

  

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Étang de la Ganne, à Durdat-Larequille, dans l'Allier, photographie : août 2013.

 

 

 

jeudi, 10 octobre 2013

Bleus

 

 

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Étang de la Ganne, à Durdat-Larequille, dans l'Allier, photographie : août 2013.

 

 

 

Entretiens avec Jean de Rancé — Sur la poésie (suite)

 

 

 

Jean de Rancé. -. Cher Frédéric Tison, je vous propose maintenant d’en venir à vos récents recueils proprement dits, Les Ailes basses tout d’abord, puis Les Effigies

 

Frédéric Tison. -. Cher Jean de Rancé, pardonnez-moi de vous interrompre…

 

J. de R. -. Mais je vous en prie…

 

F. T. -.  … ce ne sont pas des recueils, mais des livres : je n’ai pas rassemblé au petit bonheur la chance des textes épars, mais au contraire je prétends avoir mûri longuement une architecture. Les Ailes basses et Les Effigies s’efforcent donc d’être des livres — réussis ou pas.

 

J. de R. -. Ces deux livres, donc, me semble-t-il, sont d’abord une réflexion sur la poésie.

 

F. T. -. Vous me faites un peu peur ; je n’aimerais pas passer pour un formaliste aux livres abscons et soporifiques, où la prétendue réflexion sur le poème prend le pas sur le poème lui-même, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui… Ils ne sont nullement d'abord des réflexions sur la poésie, mais le miroir est à jamais inévitable, en effet, dans le poème.

 

J. de R. -. Je songeais surtout aux interrogations sur le nom qui parsèment vos livres, et qui ont lieu dans le poème.

 

F. T. -. Le nom est ce qui s’effondre, ce qui est à rassembler — peut-être est-ce parce que j’ai une excellente mémoire des visages, des paysages et des tableaux tout aussi bien, et que le nom, à l’inverse, m’échappe souvent. La recherche du nom passe peut-être par la recherche du visage, qui me rappelle en écho le nom que je perds… que je croyais perdu. En ce sens ce que j’ose à peine écrire "ma" pratique de la poésie rappellerait l’art de la mémoire, cette pratique mnémotechnique des Anciens fondée sur l’image et qu’explore Frances A. Yates dans son beau livre L’Art de la mémoire.

 

J. de R. -. Je discernerais volontiers dans Les Ailes basses le nom d’ « Isnel », central, et celui de « Jésus ». Il me semble que ce sont là des figures autour desquelles tout le reste s’articule.

 

F. T. -. Vous parlez là des noms propres du livre… Mais on pourrait tout aussi bien parler de n’importe quel nom, je veux dire de n’importe quel mot du livre, et voir que chacun d’eux résonne à la manière d’un nom doté d’une majuscule.

 

J. de R. - Pourriez-vous cependant éclaircir la forte présence de ces deux Noms ? Cela constituerait une bonne introduction, ce me semble.

 

F. T. -. Peut-être… Le nom de Jésus, on a parfois besoin de le rappeler aujourd’hui, est constitutif de la pensée occidentale — qu’on le veuille ou non.

Quand on manie la langue française, quand on se mêle de créer en son sein, ce que propose l’élaboration d’un poème, il me semble naturel que s’y développe une réflexion — un miroir posé — sur le religieux des choses, et plus particulièrement sur le christianisme, dont est pétrie la langue française tout d’abord, comme en sont pétris notre pays, notre relation au temps, à l’art, à l’amour — à la vie en un mot. Il n’est pas toujours superflu de rappeler (notre époque est si oublieuse, surtout si peu soucieuse du passé qu’il est toujours bon de le faire) qu’une immense part de notre littérature, des tableaux de nos musées, de notre musique, est inintelligible en dehors du christianisme. Même l’athée, le "laïc" le plus intelligent, en Occident, se méprend s’il ignore cela : car il mésestime alors la pierre de l’église romane, celle de la cathédrale, qui se mêlent indissolublement à son architecture intime. Du visage de nos villages à Bernanos et Claudel bien sûr, mais aussi aux écrits de Sade, aux cris d’Artaud et au "sacré sans Dieu" de la musique de Sibelius, le christianisme est une des rivières qui nous parcourent.

 

J. de R. -. Vous considérez-vous vous-même comme "chrétien" ?

 

F. T. -. Je n’ai pas eu d’éducation religieuse, et jusqu’à un âge avancé je ne connaissais que des bribes de la Bible. Ce n’est qu’un peu avant mes trente ans que je lus réellement, et entièrement, toute la Bible hébraïque et le Nouveau Testament ; on le voit, je fus longtemps, comme presque tout le monde, le demi-ignare qu’une grande part du système éducatif depuis la dernière guerre contribue à créer au nom de l’égalité des chances, et je fis des lectures à vingt-cinq ans qu’un collégien de 1900 connaissait déjà, alors qu'on prétend aujourd'hui encore éduquer le peuple. Le seul avantage à être un autodidacte, c’est de mesurer les distances, davantage que ne le fait tout homme qui a eu la chance d’être renseigné plus tôt. On s’en aperçoit mieux, quand on a dû faire le parcours tout seul, que lorsqu’une édition des Évangiles traînait familièrement sur la table du salon familial. Je crois que l’histoire religieuse chrétienne devrait faire partie des programmes de l’Éducation nationale française, en dehors de tout aspect confessionnel : je le répète, comment comprendre la littérature, les tableaux des églises et des musées, l’histoire de notre pays, sans un minimum de connaissances bibliques ?

La question de la croyance religieuse n’est pas aussi cruciale à mes yeux qu’elle pourrait l’être — et peut-être devrait-elle l’être… Je ne sais pas si je crois en Dieu ou non. Je suis incapable de répondre, ou bien mes réponses seront-elles celles de mon époque, inversées ou conformes. Je le suis tout autant quant à la question de l’existence ou de la non-existence de Dieu — une question qui est d’ailleurs sans doute très mal posée, avec de mauvais termes, veux-je dire. Dire que "je" "crois", c’est déjà mettre à distance sa propre croyance, c’est déjà en douter : les Pères de l’Église le savaient déjà… Je ne me sens pas "chrétien" au sens strict de "pratiquant", certes, dans la mesure où la croyance aux dogmes chrétiens me trouve largement "sceptique", mais je ne me sens pas non plus "athée", encore moins "agnostique", ce terme qui sert trop souvent de prétexte à quelque flou de l’esprit, et qui est employé à tort et à travers par des personnes qui souvent se moquent de tout ce qui touche à "Dieu", et qui se moquent a priori de toute question spirituelle, s’abritant souvent derrière la notion d’un "sacré sans Dieu" qui reste aussi vague que la "poésie d’un paysage" dont nous parlions naguère. Mais lorsque j’entends le mot "chrétien", je me sens plus proche de lui que de celui de "bouddhiste" ou de "musulman", épithètes et confessions qui me sont totalement étrangères – je n’ai de curiosité ni d’intérêt pour elles que depuis un absolu Dehors. Mon "intérieur", dès lors, est également "chrétien", et même "catholique", puisque je suis français ; c'est ainsi. Et je suis un homme fidèle avant tout, et d’une fidélité qui n’est pas soumission... La tabula rasa ne m’est étrangère que parce que je la sais impossible : je suis, ma pensée, mon histoire, mes "conceptions", mon langage, sont façonnés par la civilisation dans laquelle je suis né, et qui est chrétienne pour une très large part. Souvenez-vous des Surréalistes, et du fameux numéro 3 de La Révolution surréaliste proclamant l’année 1925 comme « fin de l’ère chrétienne » ; c’était le terrible et magnifique Antonin Artaud qui était à l’origine de ce projet. Mais n’était-ce pas là toujours se poser en fonction du christianisme, selon un regard ? On n’y échappe pas, sauf à décréter qu’il n’est pas constitutif de notre identité, ce qui est faux. Nos notions du temps, de l’esprit, de la matière, de l’origine, de l’amour, de la vie en sont issues —ce n’est pas rien…

Je rapproche Dieu de l’inquiétude — de ce qui demeure ouvert. Un poème est toujours peu ou prou une prière, célébration ou douleur, une question. La théologie négative chrétienne, dite l'apophatisme, est très féconde en ce qu’elle indique, en tâtonnant, les chemins à suivre, elle explore ainsi que le poème, elle est une pensée qui se déploie comme la musique.

 

J. de R. -. Y a-t-il au sein de la doctrine de l’Église catholique quelque chose dont vous seriez proche ?

 

F. T. -. Ses dogmes ont tant varié. Le christianisme d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui de saint Augustin, ni avec celui du Concile de Trente. On demande depuis le XIXe siècle à l’Église de se moderniser, mais c’est stupide, l’Église, même du temps de sa splendeur, même quand elle irriguait la pensée dominante, s’étant toujours adaptée à son époque. Et puis, l’Église a eu tort de renoncer, récemment, à l’existence des Limbes, puisque j’y suis…

 

J. de R. -. Venons-en maintenant à l’autre figure "tutélaire". Isnel est une figure centrale de votre livre ; on dirait que tout le livre l’appelle, tourne autour de lui, mais on a du mal, à mon sens, à saisir véritablement son essence. Il n’est pas d’abord un nom propre, mais un adjectif ancien, qui signifie « rapide, léger », que vous attribuez à un personnage autour duquel vous semblez tâtonner.

 

F. T. -. C’est qu’Isnel est lointain, insaisissable… Oui, il est rapide et léger, et son nom même est un souvenir, en ancien, en moyen français : ysneal, isnial, isnel, adjectifs signifiant « prompt », « agile », « léger », « habile », « vif », « preste », « aérien », mais aussi « élégant »... Outre que le mot est à lui seul beau comme un poème entier, il agit sur moi comme un visage… J’ai rêvé d’une muse qui fût un garçon. Au fond, je ne puis rien dire d’autre que cela, en dehors de ce que le livre dit de lui, même si c’est un personnage qui reviendra dans mes prochains livres.

 

J. de R. -. Si j’ai été séduit par Les Ailes basses, j’aimerais cependant nuancer. Nous sommes convenus que ces entretiens ne seraient pas une succession d’éloges à votre gloire…

 

F. T.- … Bien entendu, quelle sottise !...

 

J. de R. - … et c’est ainsi que j’ai souhaité aborder avec vous ce que je nommerais mes réserves. Vos poèmes "tranchent" avec la production poétique contemporaine, où je discernerais volontiers, et très grossièrement, deux tendances : l’une est celle de l’effacement, du refus de l’image, et elle assèche le vers afin de l’éloigner d’un "lyrisme" jugé caduc ; l’autre, héritière du surréalisme, est celle de la surabondance au contraire de ces images, toujours plus audacieuses, et elle disloque le vers jusqu’à le rendre méconnaissable. Et il me semble que vous n’appartenez ni à l’une ni à l’autre de ces tendances : le lyrisme caractérise nombre de vos écrits, selon moi, et certains de vos vers, certaines de vos images n'échappent pas à la facilité, toujours selon moi, et surtout semblent négliger l’apport des écritures poétiques nouvelles, celles d’un Michaux, d’un Roubaud, d’un Deguy, ou d'un Bonnefoy.

 

F. T. -. Paul Farellier m’a dit un jour, en évoquant la réception de mes poèmes : « Vous aurez du mal ». Il voulait dire que mon écriture s’éloignait de ce que le lecteur de poésie, aujourd’hui, est habitué à rencontrer. Je n’ai jamais cherché l’originalité pour elle-même, mais "simplement", si j’ose dire, l’expression d’un chant qui est en moi, que je sens depuis fort longtemps, et qui m’échappe souvent, et que je cherche à retenir : le poème retient, oui, quelque chose d’une lame de fond sonore en moi, une cadence, comme un souvenir sans cesse recommencé. Aussi bien mes livres, en ce sens, seraient-ils l’expression de la recherche de ma propre voix, de celle qui est en moi, que j’entends… Comment, alors, ne seraient-ils pas différents ? 

Quant à négliger les apports des écritures nouvelles… Vous savez, je n'ai pas eu de maître, je ne m’en suis pas reconnu, ou plutôt j’ai des admirations étrangères les unes aux autres ; j’ai écrit ailleurs que « tous les maîtres s'annulent » : et, en effet, quoi de plus ennemies que les esthétiques de Ronsard et de Rimbaud, que celles de Paul Valéry et de Pierre Jean Jouve ? Et cependant, pourquoi en élire l’une contre l’autre ? Pourquoi ne pas les élire toutes, je veux dire toutes celles que l’on aime ? Quand j’écoute Bach, je peux aimer encore Sibelius. Et quand j’écoute Tchaïkovski, je ne déteste pas Purcell. De la même manière que notre cœur, quand nous aimons, n’est pas asséché par l’amour d’un seul être, des auteurs très différents, et je l’ai dit, ennemis, peuvent trouver en nous une admiration, une passion égales – même si stratifiées, selon l’heure...

Il ne s’agit évidemment pas de créer une œuvre composite, de bric et de broc, mais de cerner ce qui est en soi, et que, parfois, certaines influences littéraires ont rapporté à la surface.

Cela dit, je ne réponds pas là à votre question : facilité, que certaines de mes images ? Je n'ai pas peur du cliché : si ces yeux sont des étoiles, si je l'écris, que m'importe ? Si j'ai aimé cela, si je l'ai vécu, si je l'ai vu, si je l'ai touché. Une réminiscence livresque peut très bien rencontrer une source réelle en nous. La tentation de la nouveauté à tout prix est sotte à mes yeux ; la valeur en soi de la nouveauté est absolument nulle : elle érige en nouveauté ce qui est norme justement : la norme conformiste du "nouveau". Ceci est évidemment valable pour notre temps : Baudelaire demandant au Ciel ou à l’Enfer du « nouveau », et peignant « la vie moderne », même pour s’en affliger, parfois, Verlaine évoquant le « zinc » des toits, Rimbaud parlant des « villes splendides » et déclarant qu’il faut être « absolument moderne », parlent dans un univers mental différent du nôtre, qui a vu depuis ce qu’il fallait attendre de la modernité : la violence décuplée, la laideur, la vitesse décervelée, le dernier gadget technique et la dernière information à la mode venant combler un ennui et une effarante indifférence devant tout ce que le passé nous a laissé en héritage, devant la voix des morts, leurs châteaux et leurs paysages. Le « contre Chopin » de Michaux (dans Passages) est navrant à mes yeux ; mais cela se voulait « révolutionnaire », et l'on sait désormais ce que cela veut dire.

Un malentendu concernant le « langage gris » que voulut Paul Celan me semble également à l’origine d’une certaine poésie d’aujourd’hui, et de sa réception. Lui répondait à sa manière à la fameuse phrase et la plus idiote écrite par Theodor Adorno (que celui-ci a fini d’ailleurs par nuancer, de façon inutilement compliquée) selon laquelle la poésie était impossible après Auschwitz. Comme si la poésie n’était pas aussi, avec l’éloge, la célébration, l’amour et le don, la manifestation d’une horreur ! Comme si elle n’avait pas toujours été un Chant affrontant le glacé, l’innommable, la violence, la bêtise, la haine et la perte, comme si elle n’avait jamais embrassé toute la vie, le jour et la nuit… La poésie est au contraire, depuis Auschwitz, indispensable, et toujours possible, terriblement, et heureusement… La poésie est le Possible, justement. La poésie est inépuisable, comme Ovide, dans ses merveilleuses Métamorphoses, le savait.

Cela dit, vous dites avoir distingué deux tendances, mais il me semble que vous faites l’impasse sur nombre de poètes qui, aujourd’hui, tentent de se frayer un chemin entre celles-ci, et ne négligent pas du tout rythme ni chant. Je pense notamment à Lorand Gaspar, à Lionel Ray, à Yannick Girouard, à Pierrick de Chermont, à d’autres encore.

 

J. de R. -. Il me faudra les lire. Les Ailes basses est également le livre d’un lecteur, me semble-t-il. Déjà les proses contenues dans Les Contemporains intérieurs étaient des sortes d’hommages d’un lecteur, des échos. Je pense aux épigraphes et aux nombreuses références clairsemées, je cite pêle-mêle les Évangiles, Hérodote, Du Bellay… sans parler des résonances internes.

 

F. T. -. C’est juste : tout ce que j’écris est lié au temps et à la mémoire — en cela, oui, écrire est aussi le fait d’un lecteur. Vous parlez de résonances, c’est tout à fait cela : mes Histoires amnésiques s’interrogeaient sur la mémoire, sur sa place dans la composition de poèmes ou de contes : elles la reconnaissaient comme centrale, native, malgré la tentation du nouveau.

 

J. de. R. -. Parmi les épigraphes figurant à l’ouverture de chacune des cinq parties de votre livre, je relève celle d'un poème de Pierre Jean Jouve. Quel rapport entretenez-vous avec l’œuvre de cet écrivain ?

 

F. T. -. Je tiens Pierre Jean Jouve pour le plus grand des poètes français du XXe siècle, le plus grand que je connaisse ; il n’a pas été dépassé par ses successeurs ou disciples, et aujourd’hui encore il n’en est pas de vivants (connus !) qui l’égalent. Il est pour moi une sorte de modèle, non pas un maître ! et à l’instar de celles de Baudelaire, de Verlaine et de Mallarmé j’aime inconditionnellement sa poésie. C’est qu’il a su renouveler la langue poétique tout en l’inscrivant dans une tradition qui remonte aux trouvères et aux troubadours — je veux parler notamment du trobar, et plus précisément du trobar clus, que l’on réduit trop souvent à un hermétisme pour savants mais qui est surtout l’expression d’une difficulté spirituelle devant la langue, une interrogation, un forage. Pierre Jean Jouve réunit la poésie, en lui résonnent aussi bien Raimbaut d’Orange que les grands modernes. Il semble moins audacieux qu’un poète surréaliste ou qu’un Michaux, moins "provoquant" ou "novateur" qu’un Jacques Roubaud ou un Michel Deguy, mais sa révolution est beaucoup plus intime, beaucoup plus profonde aussi, que celles de la plupart des expérimentations des autres « chercheurs solitaires » du XXe siècle. Car c’est un Chant qui s’élève, un Chant magnifique, inépuisable, aussi beau que le ciel parcouru de nuages, aussi profond que la terre et ses plaines, et ses montagnes, aussi troublant qu’un corps aimé, aussi atroce (au sens ancien de « noir ») que la peur. Matière céleste bien sûr, mais aussi Diadème et Mélodrame sont des absolus de beauté — je n’ai pas peur d’user de termes aussi forts…

 

J. de R. -. Je note également un poème en forme d’hommage à Jean Sibelius. Pourquoi lui, en particulier, car si j’en juge par vos goûts musicaux, comme je puis le constater dans votre "discothèque", ici, dans votre appartement, vous aimez autant la musique médiévale que Purcell, Bach, ou Debussy ?

 

F. T. -. Vous oubliez Couperin, Rameau, Haydn, Haendel, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Wagner, Tchaïkovski, Richard Strauss, Bruckner, Janacek, Prokofiev, Rachmaninov, Ravel…

 

J. de R. -. En somme, vous aimez toute la musique…

 

F. T. -. Oh certes, presque toute la musique, en effet, même si vous noterez mon peu de goût pour la musique italienne, notamment ses opéras : ce n’est pas que je ne l’apprécie pas quand je l’écoute, mais je ne m’y penche jamais, j’ai toujours une autre musique à écouter avant elle ; et j’ai naturellement des affinités électives, parmi lesquelles Jean Sibelius. J’ai un profond amour pour la musique de Jean Sibelius. La première fois que je l’entendis, elle me sauta littéralement aux oreilles, si vous me passez une expression que je jugerai bientôt malheureuse, sans aucun doute ! : c’était, je m’en souviens, à la radio, à bord d’une voiture, lors d’un voyage en Italie, en Ombrie, en 2008 ; c’était très curieux, cette musique sombre, nordique, hautaine, lointaine, au sein de ces paysages jaunes et bleus écrasés de soleil. Je la fis mienne sur le champ ; j’avais cette bienheureuse sensation, inoubliable, enivrante de hauteur et de belle vanité, que j’aurais pu être le compositeur de cette musique : c’était la Sixième Symphonie, je crois : sublime, souveraine, inépuisable et incomparable, pour user d’un adjectif qui désormais me semble avoir été créé par Pierre Jean Jouve pour son Hélène (« C’est ici que vécut incomparable Hélène »…). À mon retour à Paris j’acquis sans tarder l’Intégrale des symphonies, puis, peu à peu, tout le reste de l’œuvre enregistrée... Non seulement j’aime inconditionnellement cette musique, mais j’aime aussi, même si c’est en marge de mon amour, qu’elle soit une "provocation" : tout en étant moderne, Sibelius résiste aux expérimentations musicales ; songez qu’il lance au monde sa Septième Symphonie, lyrique, dramatique, passionnée, d’une écriture fondamentalement tonale, au moment où triomphent le dodécaphonisme et la musique sérielle, auxquels je demeurerai, je pense, toujours étranger ; je veux bien les comprendre, mais comme je m’ennuie en écoutant Boulez ou Stockhausen ! Les amateurs éclairés n’y verront, peut-être à juste titre, que l’aveu d’une insuffisance. Tant pis pour moi ; mais comprendre n’est pas aimer… Quel ennui de seulement comprendre, et d’en avoir l’impression, même illusoire… « Comprendre, c’est tout mépriser », n’est-ce pas… Je préfère aimer. Or cette musique est trop souvent une musique qui doit être comprise.

 

J. de R. -. Selon vous, si elle est celle d'un lecteur, la poésie est donc une célébration, un éloge, un hommage ?

 

F. T. -. Elle n’est pas cela ; elle ne saurait s’y réduire, mais elle contient l’éloge, la célébration, l’hommage, oui ; elle ne commente rien, mais elle participe, elle accompagne, elle aime.

 

J. de R. -. Nous ne parviendrons pas encore, dans cet entretien, à véritablement proposer une définition de la poésie.

 

F. T. -. Non. Comme je l’ai dit, nous tâtonnons.

Avez-vous remarqué que les "définitions" et "preuves d’existence" que l’on prête ou attribue à Dieu pourraient fort bien s’appliquer à la poésie (vous noterez que je n’ai pas dit au poème) ?  La poésie est une sphère dont la circonférence est partout et le centre nulle part… La poésie est ce qu’il y a de plus haut dans la pensée… La poésie est Amour… La poésie est Vie… La poésie est Chemin... Réunissez-vous en son Nom et elle est au milieu de vous… Et même : Elle viendra comme un voleur… Mais, contrairement à ce que disent de Dieu ceux qui prétendent le connaître, je ne parle de poésie qu’avec humilité, ma voix étant l’ombre — et l'effigie — d’une plus grande voix : un poème est une avant-dernière voix, avant la poésie. Si je savais ce qu’est la poésie, je ne tenterais pas d’écrire des poèmes. Il n’y a que peu de choses, quand on y songe, qui méritent la majuscule qu’on octroie à Dieu : l’Amour, la Poésie… Quant au reste…

 

J. de R. -. Avec l’esprit de l’escalier : Pourquoi conserver la majuscule en début de vos vers ? N’est-ce pas un archaïsme ?

 

F. T. -. Sans doute, et je connais bien sûr les poèmes des poètes qui se sont débarrassés de cette majuscule inaugurale pour chaque vers, à l’imitation (car je crois que c’est lui qui le premier créa cet effet) du merveilleux poème « Mémoire » de Rimbaud, dont les seules majuscules sont destinées au premier mot d’une phrase, et non plus du vers. J’ai dit que c’était un effet, c’est bien sûr davantage que cela, notamment un recommencement subtil en début de vers, et non plus une triomphale ou fatale inauguration, mais c’est un effet malgré tout : cela n’ajoute que peu de choses à la fin, et en tous cas rien au rythme ni au chant, et cela présente également le désavantage d’être peu lisible dans un livre imprimé, de ne pas assez signaler le vers, visuellement, pour peu que le vers soit long, et se métamorphose sur la page en un peu clair "entre-deux" de prose et de poésie, ou bien en versets. Commencer le vers par une majuscule est une convention que j’aime, que je m’approprie en la respectant, et que je comprends "esthétiquement" ; c’est encore et toujours un effet, certes, mais sanctionné par une belle et rêveuse tradition, et pleinement justifié par sa beauté bizarre…

 

 

(à suivre.)

  

 

10:49 Écrit par Frédéric Tison dans Entretiens | Tags : frédéric tison, jean de rancé, entretien, poésie, poème | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |